Le Musée des Beaux-Arts à Dijon est un décor inattendu pour mon travail. C’est un bâtiment imposant avec des salles énormes très hautes de plafond et des planchers qui grincent. Il est plein à craquer d’œuvres d’art classique de périodes très diverses, denses au regard et culturellement très chargées. Pour quelqu’un qui travaille avec le son, l’inconvénient majeur c’est le ronronnement omniprésent de l’air conditionné qui arrive par des grilles au sol et qui anéantit le détail dans toutes les fréquences sonores. C’est un lieu très éloigné des décors naturels qui m’attirent le plus souvent. Cependant, j’ai trouvé là une série d’œuvres qui m’ont inspiré, sept portraits Fayoum dans la salle du deuxième étage consacrée à l’égyptologie, et un espace qui m’a inspiré tout autant, les Cuisines Ducales au rez-de-chaussée. Une fois bloquées les deux ventilations de l’air conditionné, leurs voûtes et leurs sols de pierre créaient un espace sonore. Comme on était en novembre, il s’est vite mis à y faire un peu froid mais j’étais prêt à payer ce prix là. Mon projet était de rassembler les portraits Fayoum, les Cuisines Ducales et mes propres œuvres. J’ai proposé le texte suivant au public.

7 pour 7

Ces sept portraits – non, laissons d’emblée l’imagination franchir le pas et appelons-les personnes – ces personnes, ces sept personnes, ont reposé dans l’obscurité pendant presque 2000 ans, tout près des os desséchés de leur vie antérieure. Puis elles ont redécouvert le miracle de la lumière uniquement pour se retrouver dans le plus étrange des environnements, une salle de musée dans une contrée lointaine, sous les regards curieux de gens qu’elles ne sauraient reconnaître, objet de commentaires en des langues qu’elles ne comprennent pas.

Je ne suis pas le premier à le dire mais d’une certaine manière ces personnalités transcendent leur représentation. C’est pour cela que j’ai parlé de franchir le pas. A travers les portraits nous voyons les personnes. Elles nous ressemblent. Des personnes ordinaires, qui pourraient être nos voisins d’aujourd’hui.


Il est probable que de leur vivant elles ne se connaissaient même pas. On n’en sait pas assez sur la provenance de chaque portrait pour en être sûr. Mais moi je ne trouve pas qu’elles aient l’air si heureuses que ça derrière leurs vitrines là haut, dans la salle s’égyptologie. Alors je les invite à descendre aux cuisines ducales. Elles se sentiront peut-être plus à l’aise entourées de pierre. Qu’est-ce qui me fait croire ça? Le fait que ça ressemble plus à un tombeau ou l’idée de la nourriture de ces cuisines les nourrissant aussi? Je ne sais pas. Je les projette côte à côte contre le plafond voûté. C’est peut-être là leur première rencontre. C’est peut-être une rencontre qui n’était pas possible ni même désirée quand elles étaient en vie. Néanmoins je suis en train d’imaginer et de proposer une rencontre bien plus compliquée. D’abord, nous les regardons. Elles nous retournent notre regard. Nous les regardons en tant que personnes distinctes mais nous cherchons aussi des correspondances. En quoi sont-elles semblables aux gens que nous voyons aujourd’hui, ou différentes? Je décide de leur donner des sons, je brise leur silence parce qu’après tout, le silence n’est vénéré que si l’on connaît aussi le son. Alors je leur donne du son. Je donne sept sons pour sept personnes mais cela est symbolique, en fait chacune des sept peut partager les sons, il n’y en a pas un par personne. Et les sons que j’ai choisis sont des sons qu’elles pourraient reconnaître, des sons intemporels conçus dans notre présent mais qui résonnent d’expériences humaines venues du fond des temps. C’est là ma médiation personnelle, ma tentative d’amener les sept en douceur à entrer en relation avec nous ici et maintenant.


Puis vient une médiation plus large. Avec mes collègues nous retransmettons les sept sons aux portraits sur bois à l’étage supérieur avec l’espoir d’enjoliver leurs vies solitaires. C’est à ce moment là seulement que j’ose les laisser rencontrer les autres sons d’aujourd’hui, les sons qu’elles n’auraient jamais pu entendre à leur époque. Nous ajoutons le son de voix, de machines et d’instruments de musique mécaniques, c’est à dire notre passé récent, puis les sons de la transformation digitale, notre présent et notre futur. Les sons digitaux qui sont loin de nous être familiers à nous qui vivons pourtant à l’ère dite digitale. Le tout est retransmis aux cuisines ducales à la fois comme un don et un défi aux sept. Et avec ce don nous parvenons à une sorte d’égalité avec elles, bien qu’elles soient mortes depuis deux mille ans, bien que nous les utilisions à nos propres fins. Nous leur offrons une chance de nous regarder maintenant et de méditer sur ce que peuvent être nos ressemblances et nos différences par rapport à elles. Bien sûr nous ne pouvons qu’imaginer leur réaction mais si nous faisons confiance à notre imagination nous pouvons peut-être permettre aux sept de progresser et d’apprendre aussi, et nous pouvons peut-être goûter l’infime instant de voyage dans le temps que cet échange ait permis. Ainsi peut-être pouvons-nous échanger avec elles.




Texte : Will Menter
Traduction : Madie Boucon, 2008

Portraits fayoums : copyright Musée des Beaux-Arts, Dijon
Photos : Francis Jay

 

film de 7 pour 7

installations, performances, music

menu principal